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Les Alpins de France

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LES ALPINS DE FRANCE

(Photographies des lieutenants D., F. et de M. P.)

Nos Alpes jadis se gardaient elles-mêmes. Sauf dans les périodes de crise, lorsque par des sentiers de chèvres les troupes françaises descendaient en Piémont, escortant le drapeau tricolore, jamais on n'avait sérieusement songéà faire circuler  des canons ou des convois de guerre dans les domaines alpestres du rhododendron et de l'edelweiss.

Il n'en est plus de même aujourd'hui. Pendant toute la belle saison, des deux côtés de la frontière, la poudre parle, et ce n'est point la poudre de chasse ! Alpins français sur le revers occidental des montagnes, alpini et bersaglieri sur leurs pentes orientales exécutent leurs tirs de guerre. Sans relâche, ils manœuvrent dans les parties les plus abruptes des hautes vallées alpestres, passent comme en se jouant par des cols réputés inaccessibles et débouchent parfois, avec armes et bagages par des échancrures de montagne ignorées des chasseurs de chamois eux-mêmes.

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L'uniforme des vaillants petits alpins est bien connu Une vareuse sombre à large col, portant le numéro du bataillon, un ample pantalon sanglé sur le mollet dans des bandes molletières artistement croisées ; aux pieds, de solides brodequins ; sur la tête, un béret de montagnard, sur lequel les gradés font broder en argent l'edelweiss symbolique.

Ajoutez l'alpenstock pour escalader les pentes, la large ceinture bleue garantissant la poitrine et les entrailles et, pour les alpins du 14e corps d'armée, ceux des grandes Alpes neigeuses, les raquettes évasées pour courir sur la neige.

L'année militaire des gardiens de notre frontière alpine se partage en deux fractions d'inégale durée.

L'hiver, quand les neiges interceptent les passages et rendent les cols impraticables, les bataillons alpins redescendent dans la vallée occuper leurs quartiers d'hiver. Ceux du 14e corps d'armée ont comme garnisons Annecy, Albertville, Chambéry, Grenoble, Embrun, ceux du 15e corps hivernent à Nice, Grasse, Antibes, Villefranche et Menton.

Ces derniers, les plus favorisés, vont pendant trois mois oublier leurs fatigues de la montagne, danser, flirter, batailler à coups de fleurs et de confetti, triompher aux redoutes et aux vegliones de Nice la Belle. Puis, quand la neige commencera à fondre, quand les chemins muletiers redeviendront tant soit peu praticables, adieu la Méditerranée bleue et le chaud soleil de la promenade des Anglais, en route pour le secteur.

Dans les Alpes, comme ailleurs, l'ennui des uns fait la joie des autres. Il faut voir l'allégresse des habitants et habitantes des vallées lorsque le bataillon, leur bataillon, vient réoccuper ses cantonnements d'été. On n'est pas riche dans la montagne, et le séjour des soldats est toujours une occasion de gain que les montagnards accueillent avec une vive satisfaction.

D'autre part, par suite de l'organisation en secteurs, un groupe alpin revient plusieurs années de suite dans la même haute vallée. Souvent, la même cabane, le même chalet sont affectés au cantonnement de la même fraction de troupes. Nos alpins se retrouvent tout de suite en pays de connaissance.

On s'imagine difficilement, lorsqu'on ne l'a pas constatée soi-même, la somme de travail physique dépensée par les soldats des Alpes pendant leur séjour dans la montagne.

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Il n'est point de sentier, si mauvais soit-il, qu'ils n'aient parcouru. Les cols réputés naguère inaccessibles, ils les ont traversés. Les crevasses les plus larges, au fond desquelles gronde le torrent qu'alimente le glacier, ne sauraient les arrêter. Si le passage est dangereux, ils s'attachent les uns aux autres, à l'aide de cordes, et franchissent ainsi le mauvais pas en narguant le vertige. Un faux mouvement sur le glacier, poli comme un miroir, et le gouffre est prêt à les engloutir ; mais l'alpin a le pied agile et sûr; rien ne l'effraye, rien ne le surprend, et c'est en chantant qu'il arpente les crêtes rocheuses, le sourire aux lèvres, la boutonnière fleurie de roses des Alpes.

Le tir à la cible, les feux de guerre alternent avec les marches-manœuvres et les reconnaissances dans le secteur.

Parfois nos alpins laissent le fusil et, armés de pelles et de pioches, construisent des chemins, améliorent des routes, réparent des ponts, aménagent des emplacements de batteries, mettent, en un mot, la frontière en état de défense.

Et lorsqu'un officier italien se présente en parlementaire sur la ligne de démarcation des deux pays, pour régler un de ces mille incidents que font naître les limites enchevêtrées et illogiques de la Savoie, il constate avec stupéfaction, au cours des négociations engagées avec nos officiers, qu'un plateau, une dent, une roche escarpée, négligés par nous l'année précédente, profilent aujourd'hui sur le ciel une silhouette régulière, indice certain de fortification passagère.

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La belle saison se passe ainsi, loin, bien loin des villes, dans des localités perdues.

Parfois, les alpins du 15e corps ont la bonne fortune de s'en aller cantonner dans les petits trous pas chers des Alpes-Maritimes, à Belvédère, Saint-Etienne-de-Tinée, Lantosque, ou à Saint-Martin-Vésubie.

C'est fête, ces jours-là, au bataillon. Vite, on endosse la tunique un peu ripée par l'hétéroclite promiscuité de la cantine, et jusqu'à potron-minet, on danse au Casino de l'endroit avec les Niçoises ou les Mentonnaises, venues dans la montagne pour se mettre au vert. Si le commandant est de belle humeur — cela arrive souvent — la fanfare joue sur la place ses airs les plus troublants.

En maints endroits de la frontière, les postes alpins français sont extrêmement rapprochés des positions occupées toute l'année par les alpini italiens ; les sentiers de crête suivent parfois la ligne de démarcation entre la France et l'Italie, de telle sorte que des détachements des deux armées passent à faible distance l'un de l'autre, clairons sonnant, fanion déployé.

Il résulte souvent de ce voisinage un échange de relations amicales, bien naturelles d'ailleurs entre braves gens qui n'ont aucun motif de s'en vouloir et que rapproche, au contraire, la similitude de travaux, de fatigues, de dangers.

Souvent, au milieu d'une de ces superbes prairies qui, aux environs des cols, jettent une note gaie dans la sombre couleur des roches amoncelées, le touriste rencontre une compagnie alpine faisant sa grande halte.

Une sentinelle garde les faisceaux et la ligne des sacs. en arrière, des groupes pittoresques se forment ; une escouade se rend à la source voisine, pour remplir les bidons ; les cuisiniers préparent le café ; la fumée bleuâtre s'élève en spirales, assombrissant un instant l'atmosphère transparente de la montagne ; un loustic imite le sifflement de la marmotte, pendant, qu'au piquet, les mulets débâtés poussent des braîments de satisfaction.

La nappe des officiers est installée à deux pas de la frontière; et, si le hasard amenait dans ces parages un détachement d'alpini ou de bersaglieri italiens, les troupes des deux pays pourraient déjeuner ensemble sans quitter leur territoire national.

Au col du Petit-Saint-Bernard, lorsqu'un de nos officiers en tenue s'approche de la ligne de démarcation, qu'il lui est d'ailleurs formellement interdit de franchir, il voit parfois surgir de derrière une roche les carabiniers, gardiens de la vallée d'Aoste qui, moyennant une légère rétribution, lui versent par-dessus la frontière un verre d'Asti spumante, le champagne du Piémont.

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Mais la bise commence à souffler. Les sommets se coiffent de leur bonnet de neige. Les manœuvres sont terminées. Les anciens crient : « La classe ! » En route pour les garnisons d'hiver. On part.

Pas tous ! Dans certains postes, bien loin, bien haut dans la montagne, perdus au milieu des neiges, reliés au reste du monde par un maigre fil téléphonique que coupera peut-être l'avalanche de demain, un peloton, une section, quelques hommes du groupe alpin vont garder le passage. Et, tandis que les camarades redescendent dans la vallée, ceux qui restent, les marmottes, s'organisent pour l'hivernage, aménagent les chambres aux lits superposés, se préparent, en un mot, à passer le mieux possible leurs quatre mois de paquebot.

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Le paquebot ! Pourquoi, en montagne, cette appellation maritime ? Parce que, vous répondent les alpins du 11e bataillon, le poste de la Redoute ruinée qui surveille la grande route et les sentiers du Petit-Saint-Bernard, ressemble assez à un navire ; qu'il est, comme les transatlantiques, divisé en compartiments servant de carré, de cabines, d'entrepont; et qu'enfin, ses habitants restent pendant une partie de l'année isolés du reste du monde, perdus dans la solitude entre le ciel et l'eau, celle-ci sous forme de neige.

En voilà suffisamment, n'est-il pas vrai, pour justifier la présence du paquebot sur la crête des Alpes. La vie à bord, durant l'hiver, est assurément monotone. Lorsque la neige tombe drue et glacée, quand souffle la bise et hurle la tempête, il semblerait qu'une mélancolie profonde dût envahir le cœur de nos alpins. Quelle grave erreur ! Jamais les alpins ne broient du noir ; ils ont la gaieté, l'insouciance de la jeunesse qui leur font accepter très philosophiquement les ennuis d'une réclusion à 2500mètres d'altitude.

D'ailleurs, leur ingéniosité fait paraître courtes les journées que d'autres trouveraient si longues.

En dehors des corvées, des gardes, des factions dans l'Observatoire qui domine la frontière, surveillant tous les mouvements des alpini italiens du poste voisin, ils jouent au loto, ou encore font de savants et interminables carambolages sur un billard confectionné avec des caisses à biscuit, du crin végétal et du drap de capote.

Les fanatiques du jeu de tonneau peuvent s'en donner à cœur joie. Un artiste du bataillon a fabriqué un tonneau superbe, taillé en plein cœur de mélèze. Ceux que la zoologie intéresse prodiguent leurs soins aux chiens, fidèles compagnons de la sentinelle devant les armes. Ils portent les fonds de gamelle à la descendance de « Michel et de Noémie », ces jeunes porcs de sexe différent dont la vue et le grognement harmonieux évoquaient chez les premiers reclus de la Redoute ruinée des visions succulentes de saucisses et de boudins.

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Le réveille-matin emplumé du poste, le successeur du coq magnifique que les alpins avaient baptisé naguère, on ne sait pourquoi, du nom de Théodore de Bèze, les poules, ses compagnes, ne sont pas non plus oubliés.

Quand le soleil brille, la grande distraction consiste à s'en aller sur la pente voisine où la neige, bien tassée, constitue une glissade de premier ordre ; et, sur ce tapis immaculé, nos alpins se laissent choir àla ramasse, comme les soldats de Masséna. Il leur faut parfois une demi-heure pour remonter ; mais qu'importe, c'est un moyen de faire passer la journée.

Ce genre de sport développe leur adresse et leur agilitéà un degré tel que, la ramasse considérée naguère comme un simple amusement, est devenue un mode de locomotion sinon réglementaire, du moins fréquemment employé pendant les marches dans la montagne.

Lorsqu'une fraction d'alpins, arrivée sur la crête, a la bonne fortune de rencontrer une neige favorable, dure et résistante, les rangs s'élargissent, les hommes s'éparpillent, s'assoient sur la pente et, au petit bonheur, gradés en tête, se laissent glisser jusqu'en bas, abrégeant ainsi de plusieurs kilomètres le trajet à parcourir pour rentrer au gîte. On entend d'ici les éclats de rire qui accueillent le maladroit auquel un élan intempestif occasionne une culbute à l'arrivée, lui faisant mordre la blanche poussière.

La neige, dont les alpins tirent leurs innocentes distractions, est parfois pour eux la cause de tristesse et de deuils.

Qui n'a présente à la mémoire la catastrophe des Eucherts, ce poste situéà mi-chemin de la Traversette et de la Redoute ruinée, d'où le 11e bataillon alpin surveille en tout temps le col du Petit-Saint-Bernard. Deux sous-officiers et un chasseur, surpris par une avalanche, furent entraînés sous la neige ; des efforts surhumains ne purent les sauver; on ne retrouva leurs cadavres que le lendemain.

Il y a quelques jours à peine, un deuil de même nature vient de frapper le 11e alpin. Quatre chasseurs, faisant partie du poste de la Traversette, ont été ensevelis par une avalanche à trois heures de l'après-midi, sur le versant du Petit-Saint-Bernard. Deux ont été sauvés ; les deux autres ont péri.

Le surlendemain, à l'autre extrémité de la chaîne montagneuse, la neige faisait encore deux victimes. Une compagnie du 27e bataillon manœuvrait près de l'Authion ; elle se dirigeait sur Sospel, où elle tient garnison, quand un chasseur glissa sur la neige et roula vers l'abîme.

Le lieutenant Mensier, qui se précipitait à son secours, fut entraînéà son tour.

Après de longues et pénibles recherches le soldat et l'officier victime de son dévouement furent retrouvés dans le lit du torrent. Le premier avait des blessures graves, mais qu'on espère ne pas devoir être mortelles. Le lieutenant Mensier était mort.

Le livre d'or des alpins recueille pieusement les noms de ces infortunés soldats, augmentant la liste déjà trop longue, hélas ! des victimes du Devoir et du dévouement obscur à la Patrie.

Les larmes séchées, ceux qui restent ont vite fait d'oublier que le danger les entoure et que la mort les guette à chaque pas qu'ils font dans la traîtresse montagne. Ne sont-ils point les gardiens fidèles de cette frontière que leur courage et leur sagacité rendent désormais intangible. Ne se disent-ils pas qu'on ne saurait payer trop cher une pareille confiance et une pareille gloire ?

Capitaine Ch. BRIDE.

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