Léon Zanolini naît à Sainte-Hélène-sur-Isère (Savoie) le 10 octobre 1896.
Incorporé avec sa classe au 30e régiment d’infanterie, c’est en qualité de sous-lieutenant qu’il sera affectéà la 21e compagnie du 297e régiment d’infanterie. Deux fois blessé le 6 septembre 1917 (secteur de Vauxaillon) et le 11 juin 1918 (Combat de Courcelles). Il a été le témoin direct de l’accident de chemin de fer par tamponnement en gare de Prouzel dans la nuit du 5 au 6 juin 1918 alors que le régiment montait au feu en toute urgence justement dans le secteur de Courcelles.
297e Régiment d’Infanterie
21e Cie.
Le 6 juin 1918.
Récit de l’accident de chemin de fer survenu en gare de Prouzel, le 5 à minuit.
Il est 23 h. 45… Lentement notre train, qui ne compte pas moins de 40 wagons chargés d’hommes et de voitures, entre en gare. – « C’est là que nous débarquons dit le capitaine P…[1] ; faites équiper les hommes ». L’ordre est transmis ; les hommes réveillés brusquement se tirent avec peine de la paille – on s’équipe, officiers et troupe. – Le capitaine P… et le capitaine V… descendent pour prendre des ordres à la gare – moi-même, après avoir endossééquipement, je donne à travers la vitre qui communique avec le compartiment de 1re (Etat-major) un coup d’œil : les médecins sont là qui attendent – le lieutenant V… aussi. – L… derrière moi, dans le compartiment rassemble toutes ses affaires.
J’attends… Dans le lointain, un bruit de détonations… Des bombes d’avions… Plus près un train dans l’ombre arrive à toute allure… Même direction… Même voie… C’est sur nous… Je saute…
Deux secondes plus tard, à mes yeux égarés, s’offrait l’horrible spectacle d’un amas de ferrailles traîné par le train tamponneur sur 300 mètres… Du feu… Des cris de gens qu’on égorge : mon dieu… mes camarades… Du talus où j’avais sauté je descends : « Lulu, Lulu ! » personne répond. – Je cherche ce qui doit être le wagon de voyageurs, mais en vain.
Que reste-t-il des trois wagons de queue ? Un monceau de bois déchiqueté, fers enchevêtrés. – Et dire que dans cet amas inextricable, il y a des hommes, des camarades, à qui tout à l’heure je causais. – Bonvin, pleurant, m’aperçoit : « Oh ! mon pauvre Zano, tu es là ! » Mes hommes m’entendent ! On me presse, on m’embrasse ! Mais Bonvin reprend : « Lulu expire dans un coin ! »–
Ce n’est pas le moment de perdre le Nord. Froid, calme, je demande des nouvelles de ma Cie : pas de tués. Lulu, que je vois, à qui je dis le mot d’une affection indicible, a la cuisse brisée. – On l’emporte. – Le lieutenant C… que j’appelle est sous un wagon, les jambes pantelantes, on enfonce les tôles, on le dégage. Sauvé ! ! Mais les médecins ? Et le lieutenant V… Tous 3 restent sourds à nos appels… Hélas ! ! ils ont vécu, eux si gentils, si aimables.
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Toujours calme, je me dis « il faut fuir les lieux de l’accident » et du coup j’emmène ma compagnie hors de la gare. – ½ heure s’est écoulée. – Je réfléchis à mon bonheur et à la mort qui eût pu m’arriver. Cette fois le calme s’en va, et je tremblote…
Il est 3 heures du matin. – Les autos sont là. – Embarquement.
Triste souvenir que cette gare de Prouzel, plongée dans l’obscurité, les lieux de l’accident éclairés seulement par une torche de mécanicien.
(Triste nuit de guerre)
Léon Z.
Tués : lieutenant Vittet Jean François Maximilien (22e Cie), médecin aide-major Gèghre Jules et médecin auxiliaire Thollon Charles Marie Maurice tous deux au 6e bataillon.
Blessé : lieutenant Carron François, Pierre de la 22e Cie.